Pourquoi les joysticks de la PS5 driftent – sans perspective d’amélioration
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Pourquoi les joysticks de la PS5 driftent – sans perspective d’amélioration

Vive les mots (dixit l’auteur de ces lignes !), mais regardez comment un potentiomètre fonctionne dans cette vidéo qui explique le drift des joysticks.

Le lancement tellement attendu de la PS5 remonte à quelques mois seulement et Sony est déjà visé par un recours collectif à cause du drift des joysticks observé sur la manette high-tech DualSense. Qui aurait pu le prévoir ? Eh bien, tout le monde en fait. Car la DualSense combine ses alléchantes innovations technologiques avec des joysticks standard au lourd passé plein de problèmes prévisibles et évitables. Nous l’avons donc mise sur la sellette pour savoir le fin mot de l’histoire. 

Comme la PlayStation 5, la manette DualSense a un air d’avant-garde avec ses gâchettes adaptatives et le retour haptique poussé. Sous la surface brillante, on remarque cependant que les modules du joystick pourraient dater de la sortie en salles du Dîner de cons, voire semblent moins sophistiqués, sous certains aspects, que la technologie employée à la fin des années 90. 

Sony n’est pas le seul à utiliser des joysticks standard, mais, tout comme Microsoft, il complique la réparation de ces composants consommables. Les joysticks ont une espérance de vie connue – lisible pour tous dans la fiche produit du fabricant. Leur panne est donc prévisible et on peut se demander s’il y a intention d’économiser sur le coût des pièces en faisant une croix sur les sticks plus fiables ou remplaçables.

Plongeons dans une DualSense pour voir ce qui tombe en panne et comment cela arrive.

Le problème des potentiomètres 

Ouverture d'un contrôleur PS5 et retrait de la carte mère.

Nous avons déjà détaillé le démontage de la manette dans notre vue éclatée de la PS5, nous allons donc cette fois droit aux joysticks. Contrairement aux boutons et à la croix directionnelle analogique, les sticks de la DualSense sont montés directement sur le circuit imprimé principal.

Soulever le capuchon d'un joystick PS5 pour révéler un module marqué "ALPS"

Les modules des joysticks proviennent des usines Alps (un nom familier pour qui est déjà tombé dans un trou de clavier ou a galéré avec un pilote de pavé tactile). La société japonaise (autrefois Alps Electric, aujourd’hui Alps Alpine) est spécialisée dans les dispositifs de saisie et de détection. 

Bien qu’il soit tentant de blâmer Alps pour les problèmes de drift de la PS5, la société ne joue probablement pas le rôle du méchant dans notre histoire. En effet, nom de marque mis à part, ce module est extrêmement familier. Peut-être vous rappelle-t-il la manette de la Playstation de la génération précédente, la DualShock 4. Ou la manette de la Xbox One. Peut-être celle de la Nintendo Switch Pro. Ou bien la manette à 180 € de la Xbox One Elite. Car les capuchons en plastique dissimulent tous un secret : le même module de joystick.

Pour les voir de plus près, nous devons sortir les grands moyens. Les deux joysticks sont soudés à la carte mère, 16 points de soudure la pièce, plus deux fils pour les moteurs haptiques de chaque côté. 

Vue de l'arrière d'un contrôleur PS5, avec la carte exposée.

Impossible de détacher ces joysticks sans attirail de soudure : il vous faut au moins un fer à souder, du flux, une tresse à dessouder et/ou une pompe à dessouder… et de la patience. Ou bien vous pouvez recouvrir tous les autres composants avec du ruban isolant à haute résistance thermique, chauffer un pot de soudure et faire faire une petite trempette à votre circuit. Nous avons préféré une méthode plus traditionnelle : insuffler de l’air chaud jusqu’à ce que la soudure cède.

Détacher le module joystick du dessous d'un tableau de commande, dans un étau.

Une fois le module du joystick détaché, nous pouvons ausculter ses entrailles.

L'unité de potentiomètre du joystick s'est ouverte, révélant comme un essuie-glace cylindrique et des bandes de contact circulaires.

Chacun de ces caches vert d’eau abrite un potentiomètre. Cela fait deux par joystick et ils forment un angle droit. L’un mesure les mouvements verticaux, l’autre les mouvements horizontaux.

Pour comprendre leur rôle, il est utile de savoir comment un potentiomètre fonctionne et mesure les positions. Commencez par une piste, une bande de matériau à la résistance uniforme et déterminée (il s’agit de la difficulté ou facilité du courant électrique à traverser la piste). Mettez une borne de chaque côté puis soumettez la piste à une certaine tension électrique. Ajoutez-y une troisième borne, appelée curseur, qui se déplace le long de la piste. La tension lue par le curseur varie de façon prévisible selon l’emplacement du curseur – plus ou moins proche d’une borne ou de l’autre, ou bien pile au milieu.

Diagramme illustrant le circuit du potentiomètre.
Description du fonctionnement d’un potentiomètre, tirée d’un manuel d’instructions sur les potentiomètres JEITA.

Les potentiomètres des joysticks de la DualSense fonctionnent de cette façon, sauf qu’au lieu de se déplacer sur une ligne, le curseur parcourt une piste semi-circulaire en film de carbone imprimé. Quand vous bougez le joystick avec votre pouce, il déplace deux petites tiges, chacune connectée à un curseur. Les curseurs codent leur position en valeurs de tension, que la manette décode ensuite pour déterminer la position et le mouvement du joystick.

Pièces de potentiomètre, disposées horizontalement.
Un potentiomètre complet tel qu’il est monté sur un joystick (à gauche) et ses composants : le curseur (au milieu) et la piste en carbone (à droite)

Deux autres composants des joysticks modernes méritent un peu d’attention. L’un est le ressort qui remet votre joystick en position centrale neutre quand vous le relâchez. L’autre est le bouton d’action qu’on trouve sur les sticks de beaucoup de manettes.

Le châssis en métal, le ressort de centrage et le bouton d’action (joystick de PS5)
Une fois les deux potentiomètres retirés, il reste le châssis en métal, le ressort de centrage et le bouton d’action (joystick de PS5)

Sachant ce que nous savons sur le fabricant et le fonctionnement de ce truc, passons à ce qui ne marche pas.

Les causes du drift

Deux offres du catalogue Alps.

Qui connaît mieux les particularités des joysticks de la PS5 que l’entreprise qui les a fabriqués ? Jetons un œil à la fiche Alps des caractéristiques de la gamme RKJXV, les ThumbPointer™ (contrôleurs de stick) conçus spécialement pour le gaming. Fouillez sur eBay et autres sites de shopping, et vous trouverez des variantes de ce numéro de produit parmi les joysticks de remplacement pour manettes de PlayStation, Xbox et Switch Pro. Pile sur la première page de la fiche produit, on lit l’espérance de vie des potentiomètres des RKJXV : 2.000.000 cycles

Un de nos experts en démontage a compté les interactions de sa manette dans Call of Duty : Modern Warfare (2019) pour en déduire l’espérance de vie approximative de ses joysticks. Avec 10 interactions différentes toutes les 30 secondes, cela faisait environ 100 rotations complètes du potentiomètre par minute. Si vous jouez à un jeu qui sollicite moins le stick qu’un jeu de tir en vue subjective, vous arrivez à 80 tours par minute, donc vous passez la ligne des 2.000.000 rotations au bout de 25.000 minutes, soit 417 heures ou 209 jours, à raison de 2 heures de jeu par jour. Un jeu plus actif à 120 rotations à la minute use les potentiomètres au bout de 139 jours avec 2 heures par jour. L’estimation d’Alps équivaut donc à 4 à 7 mois pour le profil de notre gamer hypothétique, quand on se base sur un rythme plutôt hors pandémie de 2 heures de jeu par jour.

Cela ne signifie pas forcément que votre joystick commencera à drifter à ce moment. Il peut tomber en panne plus tôt ou continuer à marcher pendant longtemps. Mais rien n’est éternel et les potentiomètres n’y font pas exception. Voilà pourquoi.

1. Usure des capteurs

La première cause potentielle du drift est la plus difficile à éviter : l’usure des potentiomètres. Avec le temps, les aller-retours du curseur sur la piste résistive créent des irrégularités, ce qui altère les mesures de tension par les bornes (pensez à un enregistrement haché ou un à un CD rayé). Mentionnons que, même si les tristement célèbres sticks des Joy-Con diffèrent légèrement par leurs curseurs qui se déplacent sur une liste droite et non en rond, ils tombent en panne exactement de cette façon : l’usure des pistes avec des erreurs de mesures pour conséquence.

2. Relâchement du ressort

Mais le blâme ne revient pas qu’à ces petits résistifs. La mesure correcte des mouvements du joystick se base sur un point de départ fixe et neutre. Quand vous bougez votre stick, le mécanisme à ressort de centrage peut devenir un peu lâche, ce qui crée un nouveau point “neutre”. Dans ce cas, les potentiomètres décodent toujours correctement la position relative du joystick, mais celle-ci est objectivement fausse.

3. Déformation du matériel

Impossible de nier le rôle de la déformation du plastique. En effet, vous poussez sans arrêt les joysticks à leurs limites, parfois avec véhémence, quand vous dérapez sur l’asphalte dans Forza ou vous démenez devant vos fourneaux dans Overcooked. Nous supposons que cela contribue plus à un “relâchement” du pointage du joystick qu’à un drift progressif.

4. Crasse, poussière, moisissure et autres saletés

Enfin, il y a toujours le croque-mitaine que nous essayons de bannir depuis que les cartouches Nintendo ont vu le jour : la contamination. Par exemple, la friction des pièces en plastique crée de la poussière plastique qui s’accumule à l’intérieur du mécanisme des joysticks. La plupart des manettes modernes sont fabriquées en plastique autolubrifiant, pour des actions plus souples. Mais autolubrifiant signifie aussi autodégradant : les propriétés du plastique se basent en partie sur la perte de quantités minimes de son propre matériel.

Ainsi que d’autres fans de la gâchette, nous avons réussi à éliminer le drift en nettoyant les entrailles des potentiomètres avec de l’air comprimé, du nettoyant contact et/ou de l’alcool isopropylique. Cependant, sans démontage et remontage complet, cela revient à déplacer et non enlever la poussière, qui va revenir envahir votre stick au fur et à mesure que vous en produisez.

N’oublions pas la contamination par le monde extérieur. Les potentiomètres sont sensibles aux températures extrêmes, à l’humidité, à l’oxydation/corrosion, de même qu’aux particules fines. Votre logement n’est pas une salle blanche.

Tentatives de réparation, calibration incluse, et pourquoi ce n’est pas toujours efficace

Si la soudure ne vous tente pas, pas de soucis ! YouTube regorge de vidéos qui montrent comment réparer un drift présumé, sans rien chauffer, juste avec beaucoup de patience et parfois une motricité fine bien développée. Vous pouvez par exemple soulever les caches des potentiomètres pour nettoyer ou remplacer le curseur rotatif. Ou bien vous pouvez essayer de nettoyer soigneusement le curseur et sa piste en carbone. Quelques-uns ont même essayé de faire pivoter le potentiomètre de façon minimale afin de compenser quelque peu les mesures de position incorrectes.

Écran d'options pour Call of Duty : Modern Warfare, avec l'option Deadzone mise en évidence.
Configuration de la zone morte dans Call of Duty : Modern Warfare (2019)

Quelques consoles, et même quelques jeux, proposent de calibrer le joystick ou la zone morte, ce qui procure une solution de fortune à beaucoup de ces problèmes. Mais il faut faire quelques réserves à ce sujet :

  • Cela peut être utile si vous avez un problème constant unidirectionnel avec le mécanisme de centrage de votre joystick (ressort de retour). Cela ne marche pas en cas de “relâchement” général ou d’usure sur un potentiomètre.
  • La solution pour certaines sortes de relâchement consiste à calibrer la “zone morte”. Ainsi le jeu ignore les mouvements mineurs du stick. Mais si le problème empire, vous devrez augmenter la zone morte pour compenser, ce qui rendra impossible tout contrôle précis du joystick.
  • Comme vous vous en doutez, aucun logiciel n’est capable de contourner la contamination.

Il existe aussi une catégorie de réparations qui nécessitent effectivement de la soudure. Néanmoins, c’est à peine si la situation s’améliore ainsi. Il est avéré que la résistance des potentiomètres des joysticks flambant neufs varie beaucoup à la sortie d’usine. Il faut donc (vous l’avez deviné) les calibrer en usine. Cette calibration est enregistrée dans le circuit de la manette et non sur le joystick même. Sans l’outil de calibration industriel, un joystick de remplacement flambant neuf risque de euh… drifter. Pas découragés pour autant, des réparateurs héroïques ont concocté une manipulation casse-pieds après l’autre. Bref, ces trucs pourraient être beaucoup plus faciles à réparer.

La vraie solution : un choix plus avisé de la part des fabricants de consoles

Si votre manette drifte, vous avez trois possibilités : la réparer (ou vous adresser à un technicien expérimenté), la renvoyer au fabricant et attendre qu’il la répare (si elle est encore sous garantie) ou en acheter une neuve.

Il nous semble étrange que les fabricants de consoles, qui investissent énormément dans leur conception, ne considèrent pas les sticks comme des pièces consommables et ne prévoient pas qu’on puisse les remplacer plus facilement. 

Un appareil conçu pour 2.000.000 cycles, surtout s’il est censé encaisser de fortes frustrations et impulsions, ne peut pas fonctionner parfaitement éternellement. La conception devrait prendre en compte cette réalité. Nintendo, qui s’est fait remarquer par son silence prolongé autour de la panne des Joy-Con drifteurs, a au moins fait le choix d’un joystick facilement remplaçable, fixé par des vis cruciformes et une nappe, et non par 16 points de soudure. Et même si un joystick nécessite une base stable soudée, il est possible de concevoir un circuit détachable, comme nous en voyons souvent dans les téléphones ou d’autres appareils mobiles. Un petit circuit imprimé portant le joystick et les nappes et puces nécessaires se connecte à la carte mère avec une nappe amovible.

Et cela était juste le B.A.-BA. On peut aller plus loin et imaginer des prises à broche pour le module de la manette, comme celles qu’on trouve dans le clavier ErgoDox. Ou encore mieux : une manette modulaire, comme l’Astro, qui n’est pas beaucoup plus massive que les autres manettes modernes, mais se compose de modules échangeables non soudés. Essayez et prouvez-nous que les fabricants de console ne peuvent pas faire leur beurre en vendant des pièces de manettes thématiques en édition limitée.

Joystick de la manette N64
Evan-Amos, CC0 / Wikimedia Commons

Les fabricants de console pourraient également commencer par choisir des joysticks plus fiables. La Dreamcast, en 1999, intègre des capteurs à effet Hall dans ses manettes. Les aimants finissent par s’user au bout d’une très longue période, mais ils se remplacent. Le joystick central de la Nintendo 64 se base sur des capteurs optiques pour décoder ses positions, un peu comme les anciennes souris à boule. Même si le joystick s’affaisse ou se penche, les capteurs peuvent continuer à lire correctement la position.

Pour conclure, les vrais coupables du drift, ce sont les humains, et les bénéfices. Ces manettes coûtent moins cher à la production, mais c’est plus cher de les réparer en cas de panne. Peut-être que les fabricants de console n’arrivent pas à saisir l’évidence de cette vérité : les joysticks partent à la dérive avec l’image de marque d’une technologie de pointe et d’une expérience de jeu sans faute ni accroc. Mais à notre avis, les gens se montrent plutôt réalistes face à un truc aussi banal qu’un stick. Il vaut mieux remplacer une pièce qui coûte 1,81 € que renvoyer une manette ou en acheter une neuve pour 70 €.

Remarque : Nous avons contacté Alps Alpine, Sony et Nintendo pour demander leur avis sur le sujet ; nous n’avons reçu aucune réponse au moment de la publication.

Crédits : Cet article a été écrit par notre rédacteur Kevin Purdy et traduit par Claire Rapp.