En 2022, une annonce de produit devrait ressembler à ça

Perso, j’ai trouvé la keynote Apple de cette année plutôt plate, et vous ? Alors que la firme à la pomme nous avait habitués à un show musical digne d’un artiste lors de chaque annonce de produits, elle se montre plutôt infomerciale ces derniers temps.

Peut-être qu’on peut mettre cela sur le compte d’une nouvelle équipe marketing ou bien d’une tentative d’adopter un ton plus sérieux pour souligner les nouvelles fonctionnalités vitales de ses produits. Mais peut-être que l’ère des démos high-tech hautes en couleurs est tout simplement révolue pour laisser place à celle des rectangles noirs et à des rituels répétitifs chaque année.

Certes, l’intelligence artificielle et la connectivité ont fait des progrès phénoménaux, de même que l’autonomie batterie et la vitesse de traitement. Mais chaque appareil de chaque marque atteint ces sommets. Jouer au bingo pendant les annonces de produits n’est même plus marrant, car il y a tellement d’occasions de railler les phrases prédictibles genre « X % de plus que l’année dernière, Y % plus rapide que l’année dernière et Z est mieux que jamais » qu’on s’ennuie avant même de commencer.

La dernière fois que j’ai été surprise pendant une annonce de produits, c’est quand le chef de produit de Microsoft a ouvert un Surface Laptop sur scène, retirant toute la moitié supérieure d’un simple geste. Et pendant qu’il donnait un léger avertissement, il a explicitement omis de dire « N’essayez pas de faire pareil chez vous ». Et il a mentionné les termes « entretien » et « réparabilité ». Termes que je n’avais encore jamais entendus pendant une annonce de produit majeur et que je n’aurais jamais devinés, même si j’avais pu donner cent propositions. 

J’étais époustouflée.

Cela venait de l’entreprise qui a conçu le seul ordinateur portable à jamais écoper d’un indice de réparabilité de 0 sur 10.

C’était comme si Goliath faisait enfin un clin d’œil. Pour la première fois au cours de ma carrière, un fabricant était ouvertement et fièrement d’accord avec moi. Et c’était une première. Personne ne l’avait fait jusqu’ici. Apple ne le fera sûrement jamais. En cet instant, Microsoft se montrait l’exemple à suivre et moteur de progrès pour la branche de l’high-tech. Il nous faut encore plus de ces exemples !

Je travaille pour iFixit depuis un bail à présent. Nous sommes la plus grande base de données de réparation en ligne. L’accès est gratuit. Tout le monde peut y contribuer et nous ne sommes pas financés par la publicité. Notre mission est d’analyser la construction des produits pour accompagner leur transition vers la réparabilité. Nous voulons montrer au monde entier où va l’argent des géants de la tech et les pousser à adopter des designs plus intelligents. En tant qu’habitante de la planète Terre et maman, j’ai un intérêt direct à améliorer les choses ici-bas. Mais je suis aussi rédactrice et c’est mon job de vendre : principalement des idées et du savoir-faire. Donc je me sens proche des équipes publicité, mais honnêtement, nous en avons tous assez de ces discours. Une (r)évolution s’impose.

En 2022, une annonce de produit ne devrait pas se concentrer sur une caméra légèrement améliorée. Tout le monde sait déjà que les nouveaux iPhone ont toujours une caméra améliorée; c’est sûr et certain. Idem pour les puces marginalement améliorées, la sempiternelle finition aluminium, etc. En 2022, une annonce de produit devrait se focaliser sur ce qui importe vraiment ; ce qui peut manifestement être amélioré – la réparabilité, la durabilité et la réutilisation.

Dans cet esprit, je vais partager avec vous ma recette pour une annonce de produit idéale ; il est plus que temps de bien faire les choses. Que les équipes marketing tendent les oreilles, je promets un impact de taille à qui suivra ces conseils. Il ne vous reste qu’à ajouter les ingrédients propres à votre business et vous pourrez surfer sur la vague de la longévité et de la réparation !

Qualité = Longévité

Qu’est-ce qui importe le plus aux consommateurs et consommatrices ? Une autonomie batterie téléphone de 30 heures ou une durée de vie batterie de 5 ans ? Pourquoi mesurer les photos en mégapixels et non la capacité de stockage en millions ? Pour commencer, ces chiffres ne veulent rien dire sans la complexité des logiciels invisibles : 24 Mpx sur un téléphone Samsung seront différents de 24 Mpx sur un iPhone. Même la durée de vie batterie varie selon votre couverture réseau.

Parlons de chiffres plus éloquents.

Je veux savoir pendant combien de temps mon téléphone aura une autonomie batterie de 30 heures. Imaginez si votre garagiste vous vendait des pneus qui durent « jusqu’à 6 heures par jour ». Je veux savoir que ma batterie téléphone est de telle qualité qu’elle me sera fidèle plus longtemps qu’un mandat présidentiel. Je m’en fiche qu’elle puisse tenir le temps de visionner toute la saga Star Wars.

De même, dites-moi combien de photos de mon fils je peux faire avant de devoir les sauvegarder sur iCloud. Vantez le nombre d’années d’enregistrement des messages. Je me souviens d’un discours de demoiselle d’honneur déplorant la suppression automatique des messages sur iMessage. Ainsi, elle se rappelait très bien que la mariée lui avait envoyé un message pour lui annoncer qu’elle allait lui présenter l’heureux élu – mais impossible de retrouver le fameux texto, il avait été supprimé il y a fort longtemps. Je passe mon temps à chercher des idées cadeaux dans mes textos – ces liens spontanés, vieux de quelques mois, sont sans prix. 

Ces chiffres sont réels. Ils nous importent. Et maintenant, Apple et Cie sont coincés dans le monde théorique ennuyeux des octets et des nanomètres. Il est temps de faire de la longévité et de la durabilité des arguments de vente.

Alors, les équipes marketing, il va falloir prendre une inspiration profonde. Vous avez la trouille de vendre un téléphone qui dure plus des deux ans habituels, car cela pourrait signifier vendre moins de téléphones. Mais écoutez bien, les gens gardent leurs téléphones plus longtemps et même s’ils ne les gardent pas éternellement, un téléphone qui dure cinq ans est de qualité nettement supérieure à un qui dure deux ans. Il se vendra comme des petits pains !

Jony Ive avait compris un truc : la qualité est importante. Les gens veulent une montre en or, cela les valorise. Mais ils ne veulent pas de montre avec une date d’expiration. À mon avis, l’Apple Watch Edition est le plus grandiose échec de Jony – et d’Apple : un e-déchet plaqué or prétentieux et jetable. La valeur d’une Rolex ne se ramène pas seulement à ses matières premières de qualité. Une Rolex a de la valeur parce qu’elle résiste au temps. C’est une marque qui repose sur la réparation répétée. Je parie avec vous que personne ne transmettra son iPhone ou son Apple Watch à ses petits-enfants, du moins pas encore. Mais les gens dépensent des fortunes pour des chaussures de course de qualité.

Tout s’use, la vie est ainsi faite. Mais si votre produit s’use moins vite que la concurrence, cette caractéristique vaut la peine que vous en parliez.

Réparer est la nouvelle limite

Comment gagner du temps ? La réponse est simple : en réparant. En 2022, une annonce de produit devrait mettre la réparabilité au premier plan. Je vais vous dire un secret. Réparer est en fait un super-pouvoir. La fontaine de jouvence et le voyage dans le temps combinés. Un changement batterie permet de transformer un téléphone de 3 ans en un téléphone qui pourra durer 6 ans. Réparer est une forme d’immortalité.

Faites taire votre équipe juridique un instant, ou mieux : montrez-leur iFixit, la plateforme qui a vu des dizaines de millions de réparations couronnées de succès et n’a jamais été poursuivie en justice jusqu’à aujourd’hui. Et laissez-moi parler de réparation. Je devine vos doutes. Qui répare son téléphone ? Ok, qui fait sa vidange d’huile ? Pas tout le monde évidemment, mais tout le monde a des options. Vous pouvez mettre la main à la pâte avec votre enfant, confier votre voiture au garage du coin ou vous adresser à une concession.

Avoir plusieurs options, ainsi que connaître la réputation de ces options, permet de faire des achats réfléchis. Tout le monde sait que les BMW coûtent cher à l’entretien et tout le monde sait que les Honda sont fiables et peuvent être réparées dans à peu près tous les garages. Quant à l’électroménager, le label énergie donne aux consommateurs et consommatrices les moyens de réfléchir à la consommation énergétique depuis plusieurs décennies et a permis à de nombreuses personnes de faire des économies. Maintenant, la France fait pareil pour la réparation (et la Belgique suivra peut-être l’exemple l’année prochaine). 

Petite parenthèse : quand Apple parle de films conçus sur iPhone et d’alpinistes à l’assaut des sommets Apple Watch au poignet, c’est impressionnant, mais un peu hypocrite. Apple ne dépense pas des millions pour s’adresser aux quelque 4.000 personnes qui ont escaladé le Mont Everest ou au millier de touristes qui visitent le Pôle Nord chaque année. La firme s’adresse à ceux et celles qui rêvent d’aventure. Donc si je vous raconte que les gens veulent réparer et que vous en doutez, pensez aux personnes qui veulent tourner des films et à celles qui souhaitent courir un ultra-marathon. Réparer est un rêve comme un autre. Et il s’agit d’un rêve que vous pouvez vendre (en toute honnêteté) – Apple ne vend peut-être pas d’équipement d’escalade, mais elle peut bel et bien vendre des batteries.

Mais assez parlé de théorie de consommation. Passons à la régulation dans le monde réel. 

Le léger frémissement du droit à la réparation bouillonne ferme à présent. La France exige l’indice de réparabilité pour certains produits, les États de New York et Colorado protègent activement le droit de réparer les appareils électroniques. Bienvenue dans l’ère du droit à la réparation !

Des géants de la tech comme Apple ont lancé leur propre réseau d’auto-réparation, nous collaborons avec Samsung et Google pour vendre des pièces d’origine, et Microsoft a également promis d’apporter sa pierre à l’édifice. L’heure H est arrivée – les annonces de produit devraient surfer sur cette actualité fantastique. Il est possible que Google commercialise les prochains Pixel en vantant un peu leur réparabilité, mais tout semble annoncer une sous-médiatisation de l’unique nouvelle fonctionnalité de ces téléphones. À savoir du temps si précieux – une durée de vie allongée grâce à un design judicieux et à la disponibilité des pièces. 

Fini l’écoblanchiment et place à l’avenir !

Le changement climatique est là. Parler de recyclage n’est ni nouveau ni vertueux. Les gestes pour l’environnement sont à la mode. C’est bon pour les affaires, mais pas très glamour dans les annonces de produits. L’high-tech doit aller au-delà des emballages recyclés et de la compensation carbone.  

Permettez-moi de vous présenter le schéma « Réduire. Réparer. Recycler » revisité, tel que toutes les entreprises tech devraient l’adopter quand elles présentent un nouveau produit.

Réduire ne sera évidemment jamais populaire auprès des équipes marketing, mais comme dit, une durée de vie téléphone de cinq ans est un gage de qualité, d’autant que les consommateurs et consommatrices peuvent toujours changer de téléphone avant que les cinq ans soient écoulés. Cela veut juste dire qu’ils disposeront également d’un super téléphone de deux ans. Mais laissons cela de côté et parlons maintenant de Réutiliser. Une fois qu’un téléphone qui dure cinq ans a été mis sur le marché et que celui-ci est remplacé, on peut revendre ce téléphone durable une fois, voire deux à condition de faire un peu de reconditionnement. Un important point fort des iPhone relativement faciles à réparer est qu’il est non seulement facile de les reconditionner, mais qu’on peut en tirer des bénéfices. Vantez les avantages des programmes de reprise et les économies d’énergie possibles. Proposez des appareils reconditionnés à prix réduit aux associations et aux écoles. Tout le monde y gagnera.

Recycler est un concept populaire – familier et facile à comprendre, mais c’est également devenu un monstre bien moins écolo qu’on aimerait le croire. Recycler inclut des pertes, les procédures sont complexes et gourmandes en temps. Recycler devrait être le dernier ressort d’une longue chaîne d’alternatives. Le R manquant des annonces de produits, c’est Réparer.

Réparer est une source intarissable de bienfaits. Réparer est une condition préalable de Réutiliser. Réparer repousse le gaspillage du recyclage tout en le simplifiant énormément. Réparer crée des emplois, améliore la perception des produits et permet aux entreprises d’aller au-devant des législations du droit à la réparation. Un large éventail d’arguments de vente s’ouvre alors : « Notre réseau de pièces détachées donne du travail à X millions de personnes dans le secteur de la réparation indépendante. Notre nouveau design permet d’augmenter de Y % la durée de vie de notre produit, réduit l’empreinte carbone de la production de Z milliards de tonnes de CO2. Et le recyclage en fin de vie récupère N % de matériaux supplémentaires en aussi peu de temps que jamais. »

Avez-vous déjà entendu une telle annonce de produit ? Je sais que j’écarquillerai grand les yeux et tendrai l’oreille avec attention. 

Bref, les annonces de la tech sont devenues une plate récitation de  caractéristiques techniques. Si une annonce de produit pouvait mettre ces chiffres en lien avec l’usage réel, une durée de vie améliorée ainsi que des vraies avancées écologiques, par exemple en faveur de la réparation, ce produit aurait de fortes chances d’éveiller l’intérêt de beaucoup, et de faire la une de l’actualité. Que cette décennie marque la transition vers un avenir durable ! Adieu l’uniforme look obélisque et vivement les précurseurs d’une vraie démarche durable !

Cet article a été traduit par Claire Miesch.