L’appariement des pièces met la réparation électronique indépendante en danger
Droit à la réparation

L’appariement des pièces met la réparation électronique indépendante en danger

La pire des menaces qui pèse sur la réparation électronique n’est plus l’hostilité du matériel. Aujourd’hui, de nombreux centres de réparation indépendants craignent plus la montée en puissance de la pratique de l’appariement des pièces. Ce terme désigne les verrous logiciels dont se servent les fabricants d’électronique pour empêcher le grand public, les adeptes du DIY et les centres professionnels de réparation de changer les pièces comme cela a été possible pendant des décennies. Ainsi, récupérer les pièces détachées d’appareils HS pour les utiliser dans d’autres appareils récupérables faisait partie intégrante de l’écosystème de la réparation téléphone, PC et Cie. Mais les choses ont changé et la rapide invasion de nos appareils par des pièces dites appariées ou sérialisées est la nouvelle épée de Damoclès du secteur.

Appariement des pièces, kézako ?

Mettons que vous avez un iPhone et que sa batterie se fait vieille. Un proche a le même iPhone, mais avec l’écran et plusieurs boutons cassés. Bingo ! S’il vous le donne, vous pourrez récupérer sa batterie iPhone. Vous faites l’échange sans problème, mais, ô malheur, quand vous allumez votre téléphone, une étrange notification s’affiche. Vous lisez : « Message important concernant la batterie. Impossible de vérifier si cet iPhone possède une batterie Apple d’origine. » 

Cela peut paraître étrange, car la nouvelle batterie iPhone que vous venez d’installer est une batterie Apple identique à l’ancienne. Pire, la notification reste pendant des jours, et revient même sans cesse, même si vous la rejetez. De plus, le menu « Réglages », où vous aviez l’habitude de voir les paramètres de capacité et de charge, affiche un avertissement inquiétant : « L’état de santé de la batterie n’est pas disponible. »

Le « Message important concernant la batterie » qu’on trouve dans Réglages, flanqué de messages similaires au sujet de l’écran et de la caméra iPhone.
Le « Message important concernant la batterie » qui vous salue après votre changement batterie iPhone.

Peu importe l’adresse avec laquelle vous changez la batterie iPhone, vous perdez des fonctionnalités et vous êtes confrontés à des avertissements douteux. Bien sûr, si Apple se charge de la même réparation iPhone, elle dispose du bouton magique pour faire disparaître tout ça. Voilà le cœur du problème de l’appariement des pièces.

Imaginons un instant qu’un autre objet technologique, par exemple votre voiture, se comporte de la même façon. Imaginons que toutes les vidanges doivent être faites en concession et avec de l’huile de la marque du constructeur. Imaginez que vos vidanges DIY ou en garage multimarque fassent apparaître un avertissement sur le tableau de bord « Attention, ce n’est pas la bonne huile ». Pour en rajouter une couche, le constructeur désactive à distance le voyant d’huile moteur, donc impossible de savoir quand faire la prochaine vidange – tout ça pour vous dégoûter d’aller voir ailleurs qu’en concession pour une simple vidange.   

La fameuse machine à café Keurig qui a tenté de monopoliser l’or noir.

Cela semble ridicule, je sais. Le voyant d’huile moteur est essentiel pour l’usage et l’entretien de toute voiture. Pourquoi un constructeur automobile dicterait la conduite à adopter pour utiliser un produit qui appartient à quelqu’un d’autre ? Eh bien, il s’avère que notre cauchemar automobile hypothétique est devenu réalité pour de nombreux autres appareils. 

Il y a à peine quelques années, HP a été condamné aux États-Unis pour décourager l’usage de cartouches d’encre tierces avec des faux messages d’erreur. Des propriétaires de réfrigérateurs GE ont dû trouver comment contourner les messages d’erreur qui s’affichaient avec les filtres à eau d’origine tierce. Même Keurig a essayé de régenter la marque de café que vous devez mettre dans votre machine à café.

Maintenant, développons le concept de ces verrous logiciels en dehors de l’électronique grand public et demandons-nous : que se passe-t-il s’ils sont installés dans des machines nécessaires à la chaîne d’approvisionnement ? Eh bien, on les trouve bel et bien depuis un bout de temps dans le secteur agricole et ils peuvent faire des ravages dans les fermes. (Ndlt : il s’agit principalement d’un problème outre-Atlantique, la législation européenne impose un cadre plus restrictif aux constructeurs agricoles.) Ainsi, l’équipement agricole fabriqué par John Deere a plusieurs dysfonctionnements qui peuvent mettre la machine en « mode secours ». Ce mode rend les machines incapables de fonctionner correctement, donc tant que le message d’erreur n’a pas été réinitialisé, la plupart des fonctions au-delà du déplacement sont désactivées. Cela ne serait pas une mauvaise mesure de sécurité en soi, mais le logiciel John Deere nécessaire pour diagnostiquer et corriger les erreurs n’est pas accessible à tout le monde. En limitant l’usage du logiciel de réparation, John Deere crée une demande artificielle, si élevée que la liste d’attente est longue pour les fermiers qui doivent faire réparer leur équipement. Ce qui pourrait être une réparation tracteur facile peut repousser la date des semis aux calendes grecques, voire laisser pourrir une récolte sur pied, dans l’attente que la concession John Deere la plus proche ait le temps de se charger de la réparation. De même, l’absence de concurrence donne à John Deere le pouvoir de fixer les prix à son bon gré. Cela dit, John Deere n’est pas la seule entreprise accusée de recourir à cette stratégie. Vous lirez ici de nombreux autres fabricants tenant pour nécessaire l’usage des verrous logiciels. 

Donc pourquoi les entreprises gardent le max de contrôle sur les réparations électroniques et les changements de pièces si cela embête la clientèle, viole des lois et les traînent parfois devant les juges ? La même raison qui les fait poser des choix anti-réparation : l’argent. De quoi nous lèsent-ils ainsi ? De la liberté de choisir.

Sérialisé = Irremplaçable

Un ennemi plus simple d’une époque plus simple : la vis Pentalobe.

Les choix de design anti-réparation ne datent pas de la dernière pluie. Ils remontent à longtemps depuis l’invention de la vis Pentalobe. Les adeptes de la réparation DIY ont toujours su faire preuve de créativité pour les contourner, mais les obstacles à la réparation se sont corsés et cyberisés – bienvenue dans l’ère des pièces sérialisées et autres verrous logiciels.

La sérialisation est une pratique courante. Les fabricants de nombreux secteurs industriels s’en servent pour des trucs utiles comme le contrôle de la qualité, le suivi des stocks et la lutte anti-vol. Les fabricants d’appareils électroniques font de même, mais au lieu d’un numéro inscrit physiquement sur une pièce, les numéros de série des temps modernes sont enregistrés numériquement dans la pièce en question. 

Associer un composant à un numéro de série numérique n’est pas en soi une entrave à la réparation. En fait, avoir une liste des composants d’un appareil peut grandement faciliter les réparations – c’est pourquoi nous avons été ravis quand Valve a commencé à répertorier les numéros de série des pièces dans les paramètres de la Steam Deck. Cependant, les fabricants ont mis au point un moyen de détourner les numéros de série pour limiter les réparations électroniques même si on échange deux pièces d’origine identiques. Certaines pièces comprennent des minuscules micropuces, parfois de la taille d’un grain de riz, nommés microcontrôleurs, qui effectuent des calculs et stockent des données comme les numéros de série. Ces microcontrôleurs transmettent des informations entre la pièce à laquelle ils sont associés (par exemple une batterie téléphone ou scanneur de reconnaissance faciale) et la carte mère de l’appareil.

Un microcontrôleur Apple avec un grain de riz en guise d'échelle.
Bon courage pour sortir ce truc de votre iPhone sans l’égratigner. 

Les microcontrôleurs ont occupé nos appareils pendant des années sans déranger. À présent, faire l’appel et demander à tous ses minuscules occupants de décliner leur numéro de série peut faire partie de la routine de votre gadget high-tech. Et s’il trouve une pièce au numéro de série « incorrect » à la place de l’originale ? Adieu à des fonctionnalités genre la lecture d’empreintes digitales ou l’état de santé de la batterie. Et bonjour les messages d’erreur intrusifs. Sans crier gare, l’innocente sérialisation s’est métamorphosée en néfaste appariement des pièces. 

Le fabricant a maintenant le pouvoir de décider quelles pièces vous avez le droit d’installer dans un appareil qui pourtant vous appartient. Il vous faut un nouvel écran ou batterie iPhone ? Vous allez devoir vous adresser à Apple (ou un centre de réparation agréé) et payer le prix (salé) d’une pièce détachée Apple officielle. Dans un cas de figure particulièrement flagrant, le changement d’un écran iPhone 13 non autorisé résultait en la désactivation de Face ID alors que l’écran de ce modèle n’était même pas relié à l’illuminateur Face ID, contrairement aux modèles précédents. Apple était la seule et unique instance capable de réinitialiser le logiciel de l’iPhone pour qu’il reconnaisse la nouvelle pièce iPhone et que celle-ci soit entièrement fonctionnelle.

Ces données sur l’appariement des pièces iPhone ont été gracieusement fournies par Alexandre Isaac, du centre de formation en microsoudure The Repair Academy.

Si cette paranoïa était réservée aux pièces non d’origine (c.à.d. tierces), un minimum de précaution aurait été compréhensible. Évidemment qu’Apple ne souhaite pas qu’une batterie iPhone de qualité moindre fasse souffrir les performances de ses téléphones. Mais tous les soucis mentionnés ci-dessus affectent 100 % des pièces légitimes venant directement du fabricant. Le seul élément « manquant » dans ces cas est un numéro de série « secret ». Entre parenthèse, si les pièces détachées tierces sont assez bonnes pour les tonnes de véhicules qui sillonnent la voie publique, pourquoi ne seraient-elles pas dignes de votre réparation téléphone ?

Message d’erreur en cas de changement écran iPhone 13.

Quelques anecdotes

Aux premiers balbutiements de message d’erreur, nous avons essayé de donner à Apple le bénéfice du doute – après tout, c’était peut-être tout simplement des bugs. Certains de ces soucis, comme le débâcle cis-mentionné de l’iPhone 13, ont bel et bien été résolus par Apple (après une levée de boucliers dans la presse). Mais ils n’ont jamais vraiment cessé. Chloé Mikolajczak écrit sur le site de la campagne pour le droit à la réparation en Europe : « La tendance est claire. Alors qu’en 2015, seuls 2 composants iPhone étaient sérialisés, en 2020 ce nombre est monté à 9. Et, à part le fabricant, personne ne peut remplacer la plupart d’eux sans perdre de fonctionnalités. »

D’autres fabricants de téléphone ont été pris la main dans le sac de l’appariement des pièces. En 2021, le Youtubeur réparateur Hugh Jeffreys le prouve en échangeant les pièces de deux Samsung Galaxy A51. Même si les pièces échangées sont deux pièces d’origine Samsung identiques, les deux téléphones perdent les fonctionnalités liées au scan des empreintes digitales – jusqu’à ce que Hugh rétrograde une ancienne mise à niveau de sécurité. Avec le vieux logiciel, le scan des empreintes fonctionne à nouveau nickel, peu importe les composants du téléphone. Restriction voulue ou bug négligé, la réparation téléphone en souffre. Or, un bug peut être corrigé.

Nous avons contacté Hugh et Samsung pour mieux cerner s’il s’agissait d’un bug ou d’une fonctionnalité voulue. Peut-être que depuis la publication de la vidéo, le problème affectant les téléphones de Hugh avait été résolu par une mise à jour ? Malheureusement, Hugh n’a plus les téléphones qui ont servi à la démonstration d’échange de pièces et de rétrogradation de la mise à jour de sécurité, donc impossible de confirmer de quoi il s’agissait. Quant au porte-parole de Samsung, il a répondu :

« Je ne connais pas les différents facteurs variables qui ont pu influencer la réparation et les commentaires non corroborés de M. Jeffreys. Ce que je peux vous dire, c’est que nous n’exigeons aucunement d’apparier les pièces de nos téléphones. Si une réparation téléphone est effectuée correctement, il ne perd pas de fonctionnalité. »

D’un côté, nous sommes ravis d’entendre que les restrictions n’étaient pas intentionnelles. De l’autre, elles ont été prouvées et nous aurions aimé voir plus d’investissement pour résoudre le problème. Étant donné que les téléphones étaient de nouveau fonctionnels après rétrogradation de la mise à jour, il semble bien que Hugh ait effectué correctement la réparation Samsung Galaxy. La question de l’origine du dysfonctionnement reste donc ouverte. Et affecte-t-il toujours les téléphones réparés ? Si c’est le cas, travaille-t-on à le résoudre ? Nous serons ravis que Samsung en dise un peu plus sur cette affaire.

Huit catégories de produits dont la réparation est limitée par l'appariement des pièces, notamment les tronçonneuses, les téléviseurs et les consoles de jeux.
Ndlt : la situation n’est pas si catastrophique dans le monde entier, notamment en Europe, où la législation impose un cadre plus restrictif aux fabricants de certaines branches.

L’appariement des pièces au-delà du monde de la réparation téléphone

L’appariement des pièces n’impacte pas que les téléphones. La console Xbox One a été commercialisée avec son lecteur blu-ray apparié à la carte mère en tant que mesure de prévention contre le piratage. Ainsi, la console peut détecter les disques contrefaits. En retour, la carte mère vérifie que le lecteur blu-ray n’a pas été trafiqué. Le revers de la médaille, c’est que, pour reprendre les propres mots de Microsoft, « si votre lecteur blu-ray Xbox One tombe en panne, vous ne pouvez pas récupérer le lecteur blu-ray de quelqu’un d’autre. Ça ne marchera pas. Les deux composants sont appariés et seules nos usines peuvent les apparier. » Se procurer à la fois un lecteur blu-ray fonctionnel et une carte mère appariée n’est pas chose aisée. Microsoft ne vend pas de pièces consoles et le marché tiers ne peut pas produire de pièces dûment appariées. Donc la seule option réparation Xbox DIY reste le marché de l’occasion. Les lecteurs blu-ray tombent souvent en panne, donc les chances de trouver une Xbox suffisamment cassée pour récupérer les pièces, mais dont la carte mère et le lecteur blu-ray sont intacts sont extrêmement minces.

Résultat, un grand nombre de consoles presque fonctionnelles viennent grossir le flux des e-déchets.

Peut-on justifier l’appariement des pièces ?

Il est clair que les fabricants profitent de la sérialisation. Mais les consommateurs et consommatrices ? Les premiers aimeraient nous faire croire que non seulement l’appariement des pièces les arrange, mais est aussi une chose nécessaire pour tout le monde. Voici quelques arguments en faveur de la réparation contrôlée par le fabricant, ergo la sérialisation qui permet de tracer la réparation électronique : 

« Il faut protéger les gens des réparations mal faites »

L’année dernière, un lobbyiste représentant plusieurs grands fabricants (dont Google, Samsung et Apple), a soutenu devant la législature d’État du Nevada que limiter les réparations aux centres de réparation agréés et aux pièces d’origine était nécessaires pour assurer la sécurité des consommateurs et consommatrices face aux « tierces parties hors de contrôle ».

En ce qui concerne la sécurité et la protection des données privées, aucun centre de réparation n’est immunisé contre les personnes malintentionnées, pas même les centres agréés Apple ou officiels Google. Le problème des données privées, surtout à la lumière de ces exemples, est plutôt un argument de poids en faveur de la réparation contrôlée par le ou la propriétaire. Et si celle-ci n’est pas possible, prenez des mesures pour sécuriser vos données – que ce soit en activant une option comme le mode réparation Samsung ou bien en faisant une sauvegarde puis une réinitialisation – avant de laisser votre appareil dans les mains de n’importe qui. Encourager ces pratiques semble être une aubaine pour les entreprises soucieuses de la protection de la vie privée telles qu’Apple.

L’outil de calibration Google Pixel est très facile à utiliser.

À propos de vie privée, que dire des pièces qui utilisent les données biométriques comme les empreintes digitales ? Une réparation téléphone DIY peut-elle être sûre ou bien faut-il absolument passer par le réseau de réparation agréé pour sécuriser votre téléphone comme au premier jour ? Les personnes soucieuses de la sécurité sont particulièrement inquiètes au sujet des pièces remplacées façon système D. Comme mentionné plus haut, Microsoft partage ces inquiétudes sous l’angle du piratage. Pour les téléphones et autres appareils personnels, le bât blesse du côté de la protection des données personnelles. Par exemple, si une personne malintentionnée peut monter un scanner trafiqué dans votre appareil et s’y connecte, elle pourrait accéder à vos photos, vos informations bancaires, etc.

Cependant, si votre téléphone (comme beaucoup) exige un code PIN, un mot de passe ou un schéma comme back-up du verrouillage biométrique, vous avez déjà la solution. Après un changement scanner, votre appareil est toujours parfaitement capable de vérifier que c’est bien vous et de se déverrouiller à l’aide de la méthode back-up. Donc, une fois que le code back-up est saisi, libre à vous de permettre au logiciel nécessaire d’apparier le scanner à l’appareil et de l’activer. Google propose déjà un outil accessible en ligne pour réapparier les lecteurs d’empreintes digitales des Google Pixel, donc l’accès à ces outils ne peut pas poser tellement de risques de sécurité. Cet outil n’est pas l’unique solution possible, mais est bien plus favorable à la réparation téléphone DIY que celui d’Apple. C’est un exemple de ce que les fabricants peuvent nous proposer pour effectuer les réparations nécessaires de leurs produits. Mais dans la plupart des cas, ils refusent en faveur d’une prestation au prix prohibitif.

« Réparer, c’est dangereux »

Voilà un autre refrain fréquent d’Apple, qui jure sur « l’importance de confier les réparations à des techniciens formés utilisant des pièces détachées Apple d’origine » pour assurer la sécurité de sa clientèle.

Eh bien, si réparer son téléphone, son ordi, sa console etc. était si dangereux qu’Apple le prétend, nous aurions déjà mis la clé sous le paillasson il y a belle lurette. Or, nous contribuons à faciliter des millions de réparations année après année. Le meilleur moyen de sécuriser la réparation DIY est d’expliquer aux gens comment s’y prendre. Mais qu’en est-il du « danger » des pièces détachées non officielles ? Il y aura toujours des personnes qui chercheront à tirer profit de l’électronique de mauvaise qualité – la demande en pièces détachées est éternelle. Mais les inquiétudes des fabricants au sujet des pièces aftermarket sont rarement fondées. La plupart d’entre elles ne sont pas forcément de moindre qualité que les pièces d’origine (qui ne sont pas toutes taillées dans le même bois d’ailleurs). Elles sont parfois même fabriquées par le même fournisseur que celui des fabricants. Dans ce contexte, les prix exorbitants des pièces Apple officielles n’en finissent pas d’interloquer.

Mais laissons tout ceci de côté et posons-nous la question : si des pièces détachées officielles étaient disponibles à un prix compétitif, quelles pièces achèteriez-vous pour vos réparations électroniques ? À votre avis, quel type de pièces serait le plus populaire si les consommateurs et consommatrices trouvaient tous les types de pièces sur une plateforme de vente ? Si le prix était compétitif, la plupart des gens choisiraient celles d’une marque familière plutôt qu’un nom inconnu, n’est-ce pas ? Mais quand les prix décollent, les gens se détournent habituellement des grandes marques. Les prix exorbitants, voilà le nœud du problème qu’Apple tente de résoudre avec l’appariement des pièces. Baisser les prix ne creuserait pas non plus un trou financier, parce que cela attirerait la clientèle qui se tourne actuellement vers les pièces Apple aftermarket et créerait une source de revenu. 

La vraie raison : les pièces non appariées font perdre de l’argent

Maintenant que nous avons démonté les prétendues explications techniques de l’appariement des pièces, que reste-t-il ? Peut-être qu’il s’agit avant tout, non pas de sécurité, mais d’argent. On peut débiter une litanie d’arguments plus ou moins légitimes au sujet de la « nécessité » de la sérialisation, mais au final, elle n’est qu’un outil grossier pour remplir les poches des fabricants. 

Les arguments financiers de l’appariement des pièces font légion. Nous avons déjà mentionné que compliquer la réparation et augmenter son prix n’amène qu’à davantage d’achats de téléphones neufs. On peut y ajouter que cela diminue l’attractivité du marché des pièces d’origine récoltées dans les téléphones volés, et celui des contrefaçons, pièces et appareils (ces derniers pouvant être utilisés pour une fraude à la garantie). Mais tous ces problèmes sont avant tout un problème pour le bénéfice net des fabricants et pas pour la clientèle. Surtout que les fabricants auraient les moyens de les alléger pour toutes les parties concernées.

Les pratiques anti-réparation des fabricants accentuent leurs problèmes.

Quand les fabricants font gonfler les prix de la réparation et alertent au sujet des pièces aftermarket et tierces, ils accentuent les problèmes qui les affectent sous ces angles. Vendre les pièces d’origine à un prix abordable et fournir des données aux fournisseurs de pièces aftermarket qualitatives contribuerait à alléger ces problèmes sans compromettre la capacité des gens à réparer leurs affaires. Et au final, les compagnies avec un agenda environnemental comme Apple devraient se poser la question : est-ce que l’argent gagné avec l’appariement des pièces vaut l’inévitable flux de déchets qui en résulte ?

Quand Apple rend une pièce incompatible en la sérialisant, vous aurez plus de mal à la réparer – idem pour les centres de réparation indépendants. Et plus il est difficile de réparer en dehors du réseau du fabricant, moins il est probable que le grand public va se tourner vers les centres de réparation « officiels » et y débourser une coquette somme. Ou dépenser encore plus pour un nouvel appareil. En dictant comment réparer votre électronique, les fabricants comme Apple font de leur mieux pour diriger leur clientèle vers la caisse.

Main basse sur le marché de la réparation

La sérialisation est une méthode particulièrement sournoise de décourager la réparation électronique. C’est la nouvelle version high-tech de nos vieux amis, les vis Pentalobe et les adhésifs super tenaces. Les vis obscures avaient au moins une solution facile pour qui fabrique des outils : regarder de près la tête de vis et fabriquer un embout qui y correspond. L’appariement des pièces essaye aussi de vous exclure de la réparation, mais au lieu de se servir d’une pièce obscure, il mise sur une pièce unique que seul le fabricant peut activer. Toute autre méthode de réparation pour ce genre de pièces nécessite des manipulations complexes (et souvent coûteuses) des particuliers et des centres de réparation indépendants.

La réparation tierce dans un monde sérialisé

Ça coûte cher de se procurer les outils professionnels nécessaires pour ce genre de réparation – et d’apprendre à les utiliser.

Si vous souhaitez changer une pièce sérialisée et ne pouvez pas vous payer une réparation avec la bénédiction du fabricant (ou n’y avez pas accès comme c’est le cas dans de nombreuses régions rurales), vous devrez recourir aux grands moyens pour retrouver leur entière fonctionnalité et vous épargner la plaie des messages d’erreur constants. J’ai nommé : microsouder le microntrôleur de la pièce d’origine sur celle de remplacement et/ou reprogrammer une partie du microcontrôleur appelée mémoire EEPROM à l’aide d’un outil spécifique. Suivant le modèle de votre appareil et la pièce réparée, vous devrez effectuer une méthode ou les deux. On comprend aisément que ces réparations électroniques peuvent s’avérer longues et coûteuses, à la fois pour le client ou la cliente et le centre de réparation.

1ère option : microsoudure

Alexandre Isaac, du centre de formation en microsoudure toulousain The Repair Academy, est très bien placé pour savoir jusqu’où peuvent aller les coûts si on veut pouvoir effectuer ce genre de réparation électronique. « Vous devez faire une formation payante parce qu’apprendre en autodidacte est ardu. Vous devez acheter des outils : microscopes, fers à souder, etc. On arrive très vite à plusieurs milliers d’euros. Et au cours de votre formation, vous allez sûrement griller quelques téléphones. » En plus des coûts initiaux du matos et de la formation, « il faut compter une trentaine de minutes pour microsouder des minuscules puces au microscope. » Alexandre rappelle : « Le technicien que vous payez pour effectuer cette réparation n’aura pas le même taux horaire que la personne qui change écrans et batteries. » 

2ème option : pas de microsoudure

Il est tout à fait possible de changer certaines pièces en gardant un certain degré de fonctionnalité, mais, d’après Alexandre, ne pas déplacer les microcontrôleurs sur certains téléphones a son prix : les sournois messages d’erreur. « Je collabore avec plusieurs grandes entreprises de reconditionnement. Elles vendent entre 10 000 et 20 000 téléphones par jour… le taux de retour est très élevé. Les gens renvoient un téléphone juste à cause d’un message d’erreur. » La branche de la réparation téléphone s’est ingéniée à rassurer la clientèle, comme quoi ces téléphones sont en bon état de fonctionnement et les messages d’erreur ne sont pas nécessaires. Mais c’est souvent peine perdue face aux messages persistants qui affirment que quelque chose ne va pas. Marie Castelli, directrice des affaires publiques chez Backmarket, témoigne dans un wébinaire de repair.eu : « Même si on a expliqué que ces messages sont essentiellement un avertissement et n’affecte en rien la fonctionnalité, nous observons qu’une partie de la clientèle retourne nos produits. » Si vous êtes client ou cliente d’un centre de réparation, c’est le genre de choses qui vous décourage d’aller voir ailleurs que chez Apple. Ou bien vous pousse à laisser un commentaire négatif qui va entacher la réputation du centre de réparation téléphone.

Cependant, le véritable nœud du problème, c’est quand vous considérez comment Apple contourne tout ça – les frais, la formation, les heures d’entraînement, les téléphones grillés en cours de route. Juste parce qu’on ne peut pas réapparier une pièce Apple à son appareil à la demande. Chose que la firme de Cupertino consent uniquement à son réseau de centres de réparation agréés, au grand dam de tous les autres acteurs de la branche. « Il leur suffit de quelques clics et chez nous, un technicien super expérimenté doit bosser pendant trente à soixante minutes sur des machines sophistiquées, » déplore Alexandre. Nous sommes loin d’une situation équitable, n’est-ce pas ?

3ème option : jouer le jeu du fabricant

Apple a tendu un rameau d’olivier aux centres de réparation indépendants. Quelques-uns d’entre eux ont maintenant la possibilité d’acheter certaines pièces Apple d’origine et de les monter sans les messages d’erreur et sans les pertes de fonctionnalité. Tout geste de ce genre est un grand pas pour Apple, mais le rameau d’olivier est malheureusement fort court, voire une brindille pour dire les choses comme elles sont.

Se faire agréer par Apple est un véritable parcours du combattant. Le fameux programme Independent Repair Provider (IRP) se prétend certes « indépendant », mais bon nombre de clauses font plutôt penser à une laisse. Quand le magazine américain Vice a pu mettre la main sur un contrat de ce programme, il est tombé sur des conditions choquantes.

Pour n’en citer que quelques-unes : transmettre les informations personnelles de la clientèle (adresse, numéro de téléphone, etc.), limitation des réparations permises et du type des pièces utilisées, donner son accord à des audits surprises à tout moment, tant que dure votre contrat et cinq ans après. Aïe, le rameau d’olivier a des épines !

Les centres participent à cette mascarade afin de pouvoir ensuite acheter un écran Apple pour 200 à 400 € selon les modèles. Ajoutez-y le coût du personnel, les frais opérationnels et un peu de marge (quand même) et voilà une réparation iPhone au prix salé. Alors que les Apple Store propose la même pièce, réparation comprise, pour à peu près la même somme. Le seul gagnant dans l’affaire, c’est Apple. Voici les piètres conditions des centres de réparation indépendants qui veulent des pièces Apple d’origine sans recourir à la microsoudure. Vous comprenez pourquoi nous voulons y mettre un terme le plus vite possible ?

Contre une modique caution d’environ 1 200 €, vous pouvez louer ces bijoux et restaurer toutes les fonctionnalités de votre iPhone réparé.

Le programme d’auto-réparation Apple propose une expérience à peu près aussi frustrante. Le choix est maigre, les pièces sont chères, surtout si vous louez les kits outils (sans mentionner la caution tournant autour de 1 200 € au cas où vous ne les rendiez pas en bon état). Se faire envoyer par la poste des pièces détachées Apple vérifiables pourrait être une véritable aubaine pour qui vit loin d’un centre de réparation ou doit juste faire des économies en réparant soi-même. Mais la réparation devrait être accessible à tout le monde, pas juste à qui peut se permettre de déposer une caution de 1 200 €.

Démocratiser l’appariement

Bref, la sérialisation augmente les prix des réparations électroniques, limite notre choix et génère plus d’e-déchets. Les fabricants se soucient de la sécurité et de leurs bénéfices. Comment concilier la chèvre et le chou ?

Eh bien, sans vouloir donner l’impression de radoter, le monde de la réparation voiture a déjà résolu le problème. Laissez-nous réparer ! Pas besoin d’un niveau technique élevé pour y arriver ! 

Quelques personnes iront toujours en concession et c’est très bien. D’autres aiment passer un week-end dans le garage avec leurs enfants pour faire la vidange. D’autres encore n’ont pas le temps et confient leur voiture au garage multimarque du coin. Il est important que nous ayons le choix. C’est notre droit. Pourquoi l’oublie-t-on dès qu’on dépose le filtre à huile pour s’occuper d’un écran téléphone cassé ?

La seule façon équitable de gérer l’appariement des pièces est de donner aux gens les outils nécessaires pour prendre en main cette technologie envahissante. Si ces outils sont trop dangereux pour être mis à portée de tout le monde, alors la sérialisation des pièces n’est pas viable. Notre appel aux fabricants : Démocratisez les logiciels d’appariement des pièces ou laissez tomber cette pratique ! Non, nous ne parlons pas uniquement des modèles futurs, mais aussi de ceux qui sont déjà commercialisés. Il est évident que c’est possible. De multiples problèmes liés à l’appariement sont apparus lors de mises à jour logicielles, puis ont été résolus suite à une autre mise à jour (après qu’on ait assez crié au scandale).

Si les centres de réparation indépendants et le grand public avaient accès aux logiciels propriétaires des fabricants pour apparier les pièces sérialisées, une bonne partie des problèmes mentionnés ci-dessus fondraient comme neige au soleil. Les fabricants auraient beaucoup moins de moyens de pression sur les petits centres de réparation, et les adeptes du DIY pourraient prendre leur réparation téléphone, tablette, PC, etc. en main. Un brin de concurrence ferait énormément de bien à tout l’écosystème de la réparation – avec plus d’emplois et moins de déchets à la clé.

Les fabricants nous rétorqueront probablement l’habituelle chanson de la catastrophe que cela représenterait pour la sécurité du grand public. Mais tenir hors de portée de sa clientèle le seul outil qui lui permettrait d’être vraiment autonome est tout simplement inacceptable. Ce sont les fabricants qui ont créé le problème, à eux d’y remédier à présent. Il y a plusieurs pistes : désapparier en masse les pièces, donner libre accès aux logiciels nécessaires pour les apparier (avec des mesures de sécurité relevant du bon sens), ou bien, s’ils s’obstinent à dramatiser l’aspect sécuritaire de l’appariement, proposer des logiciels qui le contournent pour les réparations. Des alternatives ont déjà été proposées. Si elles ne sont pas viables, qu’on nous explique pourquoi et la communauté y réfléchira et proposera d’autres idées. Nous serions ravis de voir plus d’innovations de la part d’équipes dont nous savons qu’elles sont capables de bien mieux. Regardez un peu l’iPhone 14 ! Les changements de cet appareil montrent tout le talent et la prévoyance d’Apple en matière de design physique. Alors pourquoi n’avoir pas mis ce talent et cette prévoyance à l’œuvre pour trouver une meilleure solution que l’appariement des pièces ? Bien sûr, nous aurions préféré que l’iPhone 14 n’ait aucune pièce appariée, mais au moins il n’en a eu aucune de plus, c’est déjà pas mal !

Alors, oui, Apple, Samsung et Google sont des géants. Nous autres ne devrions pas nous sentir obligés de bosser pour eux. Mais voici ce que nous leur suggérerions : 

  • Vendre des pièces détachées à un prix compétitif pour créer une nouvelle source de revenu.
  • Demander aux utilisateurs et utilisatrices d’accepter leurs conditions de sécurité avant d’utiliser tout logiciel d’appariement des pièces.
  • Inciter à enregistrer volontairement les produits, pièces et réparations.
  • Entrer dans le marché de la réparation. Il est compatible avec l’écologisme et le souci de la sécurité.
’année dernière, nous avons parlé avec Bernard Capulong de son expérience avec les modifications et renaissances de GameBoy comme celles-ci. 

Libérer l’avenir des entraves de l’appariement

Tôt ou tard, les fabricants arrêtent l’assistance de leurs produits : les Apple Store n’ont plus de pièces Apple II. Bonne chance si vous comptez sur Nintendo pour trouver un nouvel écran pour la Game Boy d’origine. Mais tous ces appareils « obsolètes » ne meurent pas en masse le jour où l’assistance prend fin.

Chouchoutés et bien entretenus, ils peuvent encore marcher pendant des années, voire des décennies. Parfois, ils peuvent même survivre à leurs fabricants (honneur à Rebble). Quand des centres de réparation nous ont appris que Xbox et PlayStation s’entassaient à qui mieux-mieux dans leurs entrepôts à cause de pièces console sérialisées trop chères à réparer, nous avons compris ! Ces consoles ont un maigre potentiel de futur projet-rétrogaming-passionnément-chéri. L’appariement des pièces risque fort de poser un terme à nos capacités d’allonger la durée de vie de nos gadgets.

Réparer a toujours nécessité détermination, entraînement et expérience. Mais les pièces microscopiques, les logiciels impénétrables et les monopoles de réparation mettent les plus habiles adeptes du DIY hors-jeu. Même les personnes les plus déterminées et expérimentées ne peuvent plus rien faire sans formation poussée et outils coûteux.

Nous avons un seul vœu : que la réparation fonctionne comme elle se doit. Quand vous avez deux appareils identiques, cassés différemment, vous pouvez récupérer des pièces pour en faire fonctionner au moins un. Sans perdre des fonctions-clés. Sans désactiver les indicateurs d’état cruciaux. Sans être submergé de notifications épouvantables. Sans jeter deux appareils récupérables et sans en acheter deux pour les remplacer. 

Étouffer l’appariement des pièces dans l’œuf est essentiel pour la survie des centres de réparation indépendants, pour une longue durée de vie de nos appareils, pour que l’inquiétant flux des déchets électroniques ne grossisse pas plus que nécessaire. Pour rejoindre la lutte, consultez repair.eu ou trouvez le réseau de plaidoyer de votre région ici. Le droit à la réparation est en marche. Si nous unissons nos forces, les choses vont s’accélérer.

Cet article a été traduit par Claire Miesch.